Les Turcs, lorsqu'ils sont réunis, parlent l'un
après l'autre. Ils ont découvert que c'est un moyen de se magnétiser. En
Occident, et particulièrement dans les salons français, on se précipite pour
prendre la parole, et tous à la fois s'expriment dans un vacarme assourdissant,
fatiguant et destructeur. Quand je me trouve dans une telle situation, je me
sens complètement anéanti! Vous pensez que je désire le silence autour de moi
pour pouvoir, moi, prendre la parole et la garder des heures durant. Non, ce n'est
pas cela.
En Bulgarie, on écoute celui qui parle, même
s'il est le moins intelligent de tous. On lui témoigne respect et
considération. Dans cette atmosphère d'estime et de calme réflexion, le
parleur, s'il est bête, sent bientôt sa bêtise, et de lui-même il se tait.
Si on savait l'importance du silence, on
s'efforcerait de le cultiver. Mais pourquoi, dans la société occidentale,
n'ose-t-on pas rester dans le silence, ne serait-ce que trois minutes ?
Même si le maître et la maîtresse de maison le
désiraient, ils n'oseraient pas proposer un instant de silence, de peur de
vexer ou d'offenser leurs invités, car leur proposer d'arrêter les discussions
et le bruit pour un moment de méditation, de recueillement, ce serait les
priver de leur liberté.
Qui risquerait une telle suggestion?
La maîtresse de maison, pour obtenir un peu de
paix, se voit dans l'obligation d'offrir à ses invités des boissons et des
friandises, elle se met donc à les servir. Pourtant, nombreux sont ceux qui
aspirent à pratiquer un peu le silence, parce qu'ils souffrent du vacarme de
ces conversations simultanées et désordonnées, et si on en venait à l'admettre,
si on osait le proposer, il en découlerait un grand bien pour tout le monde.
Chez moi, les amis que je reçois commencent
par s'asseoir. Venus de loin, par le métro, ils ont respiré son atmosphère
nauséabonde, ils ont grimpé jusqu'ici, escaladé les étages; je leur dis donc:
"Reposez-vous un instant, nous parlerons ensuite". Ils en sont très
contents, car c'est une grâce rarement accordée; ordinairement on se jette sur
l'arrivant, on le harcèle de questions sur lui-même, sa santé, ses proches
etc., alors qu'il désirait se détendre, se rafraîchir, s'apaiser.
Les êtres ont besoin de silence. Ne croyez pas
vexer vos amis en leur offrant quelques minutes de repos avant d'engager la
conversation. Il est nécessaire, pour chacun de se ressaisir un instant après
un long déplacement dans Paris. Mais on est gêné de rester assis les yeux
fermés, sans parler, on se croit observé et critiqué, parce qu'une telle
pratique n'est pas dans les habitudes. Pourtant cette pratique fait qu'on est
dispos, réconforté et apaisé.
Les amis qui viennent nous voir savent que
nous avons cette habitude de rester tranquilles, dans le silence, les yeux
fermés, avant de converser, et maintenant ils le font eux aussi avec joie.
Lorsque je suis entré auprès de vous tout à l'heure, il régnait un silence que
j'ai été heureux de sentir.
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