Les humains sont parfaitement capables de
comprendre intellectuellement où sont le bien et le mal pour eux comme pour les
autres, mais ils continuent à commettre les mêmes erreurs. C’est difficile à
accepter, mais c’est ainsi. On leur explique, ils comprennent, ils approuvent,
mais ils font le contraire de ce qu’ils assurent avoir compris. Pourquoi ?
Parce que s’adresser à leur intellect ne suffit
pas, il faut toucher d’autres fibres en eux. On ne peut pas tellement se fier à
quelqu’un qui dit : "Oui, je comprends" car si ses sentiments et
ses désirs le poussent dans une direction différente, c’est là qu’il ira.
Je ne me fais donc pas d’illusions, je sais que les
possibilités d’un Maître spirituel sont limitées : sa tâche est d’éclairer
les êtres, de leur faire comprendre comment ils peuvent sortir des marécages
dans lesquels ils se sont enfoncés et leur décrire les régions magnifiques qui
les attendent s’ils y parviennent, mais le Maître reste impuissant à changer
leurs goûts et leurs besoins. Ça, les disciples seuls ont le pouvoir de le
faire, en sentant que c’est là qu’ils trouveront leur salut. Et en réalité,
même s’ils arrivent à le sentir, c’est encore insuffisant. Oui, même s’ils souhaitent
de tout leur cœur s’engager sur le chemin de la lumière, une troisième
difficulté surgit, la plus terrible : quelque chose en eux, que l’on
appelle l’habitude, s’oppose à ce changement d’orientation.
Je vous donnerai un exemple très simple. On présente
à la télévision une émission sur la famine en Afrique : tous les
spectateurs comprennent qu’il faudrait faire quelque chose, car il est inhumain
de laisser des peuples souffrir ainsi. Beaucoup même seront bouleversés et le
spectacle de ces souffrances leur fera venir des larmes aux yeux. Mais
maintenant, si on leur dit : «Voilà ce que vous pouvez faire pour que ces
peuples aient de quoi se nourrir",
combien accepteront d’abandonner leur tranquillité, leurs habitudes ?
L’argent qu’ils réservent pour leur confort, pour leurs plaisirs, combien se
décideront à l’utiliser, même en partie, pour soulager ces malheureux ? Eh
bien, c’est ce qui se produit aussi quand il s’agit de changer de vie : la
pense et le sentiment peuvent être d’accord, mais de là à ce que la volonté
parvienne à vaincre les mauvaises habitudes, la presse, l’égoïsme, il y a loin.
Quand ils m’écoutent parler ou lisent mes livres,
je sais que certains pensent : "Oh, le pauvre ! Comment peut-il
croire que c’est facile d’entraîner les humains sur la voie de la sagesse, de
la justice, de l’amour" ?... Non, je ne crois pas que c’est facile,
je ne suis pas si naïf, je parle pour éclairer ceux qui sont venus m’écouter,
car tout changement intérieur commence par la compréhension, mais je sais très bien
que le reste ne dépend pas de moi ; je ne peux pas faire aimer la vérité à
ceux qui préfèrent les illusions.
Et même pour celui qui découvre la vérité, qui aime
la vérité, on peut dire que c’est là que commencent réellement les difficultés.
Ces difficultés, c’est en moi d’abord que je les ai découvertes. J’ai compris
qu’on peut recevoir la lumière, aimer la lumière, mais quant à faire plier la
matière psychique devant cette lumière afin qu’elle s’en imprègne, mon Dieu,
que c’est long, que c’est difficile !
Un moment, elle est docile et se laisse modeler,
puis soudain elle résiste, se révolte et reprend le dessus. Alors, tout est à
recommencer. Mais il ne faut pas se décourager, car peu à peu, cette matière
finit par céder. Du moment que la compréhension est là et que l’amour est là,
la réalisation doit venir un jour. En tout cas, ce qu’il y a de sûr, c’est que
sans compréhension ni amour, inutile d’espérer la moindre réalisation.
Comprendre où est le bien et désirer ce bien n’est
peut-être pas facile, mais c’est toujours moins difficile que la troisième
étape : l’application. Chacun peut très bien admettre qu’il est préférable
d’être sobre, de rester fidèle à son mari ou à sa femme, d e maîtriser ses
mouvements de colère, d’agir honnêtement et souhaiter sincèrement y parvenir,
mais voilà, quand la tentation arrive, comment ne pas succomber ? Pour
résister il faut que la question soit claire dans les trois plans de
l’intellect, du cœur et de la volonté, et le plus difficile est d’entraîner la
volonté afin de changer ses habitudes.
Une mauvaise habitude est comme un cliché qui
s’imprime sur nos corps subtils. Une fois imprimé, il se reproduit à l’infini.
Même si ensuite on regrette sa faute, cela ne sert pas à grand-chose, on la
répète ... et puis on la regrette à nouveau. C’est un enchaînement sans
fin de fautes et de remords. Lutter, pleurer, se repentir est le plus souvent
inefficace, car le remords en lui aussi inscrit son cliché, alors il revient
après la faute, mais il n’aide pas à la corriger. C’est comme si faut et
remords étaient deux entités entre lesquelles n’existe aucun contact. Elles se
suivent, c’est tout. Vous direz : "Mais c’est parce que l’homme
est faible" … Oui, il est faible, il est faible parce qu’il est
ignorant. Le jour où il aura la lumière, il arrivera à triompher de ses mauvaises
habitudes.
Et que faut-il faire alors ?
Remplacer le cliché, c’est à dire remplacer les mauvaises
habitudes en s’appliquant, peu à peu et consciemment, à avoir d’autres pensées,
d’autres sentiments, et surtout à faire d’autres gestes. Ce sont là autant de nouveaux
enregistrements, de nouveaux clichés qui arriveront à neutraliser les autres.
Ils ne les effaceront pas, car dans la nature rien ne s’efface, mais ils se
superposeront à eux et c’est eux qui agiront.
Or, que fait-on en général ? Exactement le
contraire ; on se précipite vers les personnes et les choses qu’on trouve
plaisantes, et on se détourne des autres. Pour vaincre une tentation, une
faiblesse, vous devez cherche à remplacer l’objet dangereux par un autre qui
est pour vous inoffensif : les nouveaux clichés que vous allez ainsi
imprimer vous protégeront. Mais même si vous n’êtes pas exposé à des tentations
qui vous perdraient si vous y succombiez, vous devez toujours penser à créer de
nouveaux clichés, meilleurs, afin de progresser.
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