Au cours d’une journée nous rencontrons différentes
personnes, et il est intéressant, amusant même parfois, d’observer comment
elles se prononcent sur les événements ou l’existence en général. Alors que
certaines ne font que s’appesantir sur ce qui va mal et qui, d’après elles, continuera
à aller mal, ou même encore plus mal, d’autres ne remarquent et ne retiennent
que ce qui est bon, encourageant, et elles continuent à avancer en s’exclamant :
"Que la vie est belle" Des unes on dit qu’elles sont pessimistes, des
autres qu’elles sont optimistes.
Pour le pessimiste, il n’y a dans l’année que des
jours nuageux et pluvieux, à peine éclairés, il accepte de le reconnaître, par
quelques rayons de soleil. Pour l’optimiste, au contraire, il n’y a que des
journées ensoleillées entrecoupées de quelques pluies bénéfiques. On présente un
projet au pessimiste ? Il voit immédiatement une montagne d’obstacles qui
vont s’opposer à sa réalisation. L’optimiste, au contraire, accepte tout nouveau
projet avec enthousiasme, saute par-dessus les objections qu’on lui présente et
voit immédiatement le projet réalisé pour la plus grande satisfaction de tous.
Le pessimiste se sent toujours guetté par la maladie : à la moindre
indisposition, il pense à l’hôpital et même au cimetière ; il a évidemment
fait son testament et il est prêt à convoquer ses amis pour leur dire un
dernier adieu. L’optimiste se sent toujours bien portant et, s’il tombe malade,
il est sûr d’être rapidement sur pied.
Et puisque le monde va mal, que les gens sont
méchants et que tous les bons projets sont plus ou moins voués à l’échec, le
pessimiste en conclut qu’il ne vaut pas tellement la peine d’agir ni de
travailler pour les autres. Il se contente de régler ses propres affaires,
abandonnant les humains à leur triste sort. Et quelle satisfaction pour lui de
constater que les ennuis, les difficultés ou les malheurs qu’il avait prévus se
produisent en effet. Le pessimisme engendre donc l’égoïsme, la dureté même,
mais aussi la paresse. Oui, dans sa conviction qu’il n’y a rien à faire pour améliorer
la situation, le pessimiste devient paresseux, excepté lorsqu’il s’agit d’expliquer
toutes les bonnes raisons qu’il a d’être pessimiste. Alors là, sa langue est
d’une activité.
Et même, assez souvent, le pessimiste écrit.
Combien de livres ont pour auteurs des gens qui avaient besoin de souligner que
le monde est voué au mal, que l’existence est absurde, que rien ne vaut la
peine de rien. Mais mon dieu, si le bien ne doit jamais triompher, si rien n’a
de sens, si rien ne vaut la peine, pourquoi faire même l’effort de parler et
d’écrire ? Ce n’est pas logique ; La logique serait de rester muet.
Oui, quel besoin ont ces auteurs d’aller obscurcir de nuages noirs la tête et
le cœur de tous ceux qui vont les lire ?
Evidemment, la médecine a constaté l’influence de
l’état de l’organisme sur la disposition d ‘esprit des humains ; les
pessimistes ont souvent le foie ou l’estomac malade. Mais il ne faut pas
confondre les causes et les conséquences. En réalité, ces troubles du foie et de
l’estomac viennent de certaines habitudes mentales tout à fait pernicieuses que
les personnes ont longtemps nourries dans cette existence, ou même déjà dans
une existence antérieure, et maintenant ce mauvais fonctionnement de leur
appareil digestif se reflète sur leur état d’esprit ; le psychique ne
cesse d’influencer le physique, et réciproquement.
Et quelle est l’origine du pessimisme chez les humains ?
Certains prétendront que c’est leur lucidité. Pas du tout ! Ce sont leurs
ambitions, leurs désirs démesurés qu’ils n’ont pas réussi à réaliser. Alors,
déception après déception, ils ont fini par avoir sur le monde un regard
désabusé. On voit souvent se manifester le pessimisme chez les vieilles
nations. Elles se sont construites sur de grands projets qu’elles croyaient
pouvoir facilement mener à bien. Certains succès leur avaient fait croire
qu’elles allaient non seulement dominer les pays voisins, mais aussi étendre
leur influence sur des contrées lointaines. Et voilà l’erreur. On veut avaler
le monde entier, mais il faudrait d’abord se demander si on sera capable de le
digérer ; et même si on commence par remporter quelques succès, peu à peu
arrivent les difficultés, les impasses, les défaites, les pertes. Alors,
comment voir l’avenir sous un jour favorable ?...
Tandis que les jeunes nations qui n’ont pas encore
fait ces expériences sont pleines d’espoir, elles croient qu’elles vont réussir
là où les autres ont échoué. Evidemment, elles peuvent réussir, mais à
condition de se conduire avec sagesse et modération, sinon, elles aussi
finiront comme les autres dans les désillusions et le pessimisme. Car les
nations sont comme les individus, elles sont régies par les mêmes lois. Ceux
qui nourrissent des ambitions qui les dépassent courent à l’échec, et ces
échecs finissent par colorer de teintes sombres toute leur vision du monde. Que
ce soit les nations ou les individus, pour beaucoup l’existence peut se définir
comme un passage d’optimisme au pessimisme.
A celui qui est jeune, tous les espoirs semblent
permis, de nombreuses portes sont là ouvertes, et si l’une se ferme il en reste
encore d’autres ; mais peu à peu, l’une après l’autre, toutes les portes
se sont fermées, et alors des visages que l’on avait vus souriant s et
confiants dans la vie finissent par devenir des masques ; le regard
s’assombrit, les traits s’affaissent, et au coin de la bouche se creusent des
plis amers. Eh oui, la jeunesse fait des projets et la vieillesse fait le
bilan. Un bilan qui n’est pas toujours fameux.
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