Transcription
de la Conférence de Eckhart Tolle à Hambourg.
Explorons ensemble quelque uns des grands mystères de l’existence
humaine. Ces choses auxquelles les adultes ne portent plus d’attention, et sur
lesquelles ils ne posent plus de questions. Seuls les enfants le font encore.
Alors
que nous sommes assis ici attentifs aux paroles, nous réalisons qu’il y a une
autre dimension que celle des mots.
On
pourrait dire que c’est le simple espace de silence. Lorsque la parole émerge,
vous entendez les mots et en même temps, une partie de votre attention se porte
aussi sur les espaces silencieux, ou encore sur l’arrière plan silencieux.
C’est très simple. Il s’agit seulement de remarquer qu’en dehors des mots, il y
a une immobilité intérieure.
Et
quelque chose d’étrange se produit quand vous percevez le silence, ce qui
signifie prêter attention au silence. Une chose étrange vous traverse à ce
moment là qui est : dans cet acte de perception du silence, l’activité mentale,
c’est-à-dire le flot des pensées, cesse durant ce moment ou votre attention se
porte sur le silence. Pour un moment le flot des pensées s’arrête, pendant que
vous écoutez le silence. Cette écoute constitue l’accès à une nouvelle
dimension de la conscience, à laquelle la plupart des gens ne sont pas
attentifs. L’arrêt du flot des pensées devient possible sans aucune perte de
conscience. Et durant ce moment de perception, d’écoute de cette dimension du
silence, vous êtes entièrement présent dans ce moment, vous habitez entièrement
ce moment, étant en lui totalement.
C’est la raison pour laquelle nous sommes ici, pour accéder à cette
dimension intérieure, pour aller au delà du flot continu des pensées avec
lesquelles la plupart des gens s’identifient complètement en tant qu’eux même :
« moi, le moi ». Le soi est dans chaque pensée, sans distanciation et ceci
constitue l’état d’absence. Mais ici nous entrons dans l’état de présence.
Autrement,
vous êtes entièrement piégé par le conditionnement du mental, avec tous ses
schémas, ses connaissances accumulées, ses expériences et son passé. Quand vous
êtes totalement confondu avec cela, vous mimez le récit que vous vous faites
dans le mental. Il n’y a aucune liberté en cela.
Donc
la possibilité de vivre dans un état de conscience différent de celui dit
normal, s’offre à vous. Donc vous aurez sûrement déjà remarqué qu’ici, pendant
cette conférence, votre esprit, votre mental pensant n’est ni nourri, ni
stimulé. Et si vous êtes assis ici, tout en étant encore complètement identifié
au flot de vos pensées, vous ressentez déjà qu’une certaine agitation, une
impatience, et un mécontentement est en train de vous envahir. Et votre mental
pensant, de dire : « et de quoi parle t-il ? Je ne comprends rien ». En fait il
ne dit pas grand-chose.
Parce
que le mental pensant et le sens du soi qui naît avec l’identification au
mental conditionné, ce sens du soi entièrement fabriqué par le mental est
toujours à la recherche du plus qu’il pourrait ajouter à lui même. Ainsi, il
sera à la recherche de nouvelles idées à accumuler, de nouvelles croyances :
maintenant je sais ce en quoi je crois ! Ou peut-être de nouvelles émotions qui
deviendront des expériences.
Et
donc il ne trouve pas satisfaction ici, car son mental pensant ne reçoit pas la
nourriture qu’il désire, celle qu’il veut s’approprier pour se sentir un peu
plus gros quand vous sortirez d’ici, avec la sensation d’avoir ajouté quelque
chose à ce moi. Cela vient du fait que le sens du soi est fondé sur « moi »,
mon histoire et mon passé.
L’identité
qu’ils vous donnent avec une grande conviction, « je suis John Smith », ne peut
pas être mise en doute. Puis ils vous raconteront ce qu’ils font pour gagner
leur vie. Et s’ils ont suffisamment de temps, ils vous raconteront une courte
ou longue histoire. Et ceci est l’histoire de « moi ». Puis la personne vous
parlera aussi des rôles qu’il ou elle joue dans le monde, convaincue de ce
qu’il ou elle est : « je suis mère de trois enfants, je suis comptable, je suis
au chômage, j’ai réussi dans la vie ». Sa petite identité conceptuelle, les
idées qu’il ou elle a dans la tête.
Bien
sur nous avons tous un rôle à jouer dans la vie, mais de croire que nous sommes
que cela, s’y être identifié, constitue une terrible prison, un esclavage. Vous
pouvez remplir ce rôle sans croire que c’est ce que vous êtes. Vous pouvez
remplir votre rôle de mère, sans que cette idée occupe entièrement votre
esprit. Autrement, vous serez une mère pour le restant de vos jours et vos
enfants resteront des enfants pour vous. Vous penserez avoir toujours raison et
vous leur dicterez leur conduite. Vous serez emprisonné dans ce rôle. Le monde
est rempli de gens piégés dans le rôle que la société leur a attribué, leurs
rôles conditionnés, qui sont des structures mentales. Un rôle n’étant rien
d’autre que certaine forme mentale. Des conceptions de l’esprit, des pensées.
Donc c’est un autre aspect de l’identification au contenu du mental.
Et ce
sens de l’identité personnelle « moi », qui est issu de l’identification au
contenu du mental, n’est jamais à l’aise, ni accompli pendant bien longtemps.
Pas pour longtemps. Ce moi vit dans un état de « pas assez ». Un autre
sentiment accompagne cet état « je ne suis pas encore complet, je n’ai pas
encore réussi, j’ai besoin d’être chez moi, j’ai besoin de plus de grandir dans
le sentiment d’être moi-même ». Et chez beaucoup de gens, l’histoire du moi
semble avoir été un accomplissement, même si ce n’est qu’en surface. Et notre
culture nous dit souvent que les gens célèbres ont réussi, en apparence, et
cela vous donne l’illusion de pouvoir parvenir à l’accomplissement du sens du
soi, fondé sur une histoire. Ce serait la fin heureuse. Si vous rencontrez des
célébrités ou des gens riches, vous vous rendrez compte qu’ils sont dans le
même état d’esprit que n’importe qui. Ils n’ont pas l’impression d’être
accomplis, ils ressentent la peur, un mécontentement et un sentiment de manque
alors qu’ils ont tout. Ce que je vous dis ressemble à de mauvaises nouvelles,
comme si vous n’aviez pas la moindre chance de réussir en cette vie ci.
Maintenant,
s’il vous reste assez de temps, ce sens du soi aura l’impression qu’il vous
reste suffisamment de temps pour vous réaliser, « j’ai encore 40 ou 50 ans
devant moi », et c’est probablement suffisant pour compléter l’histoire de «
moi ». Et faire en sorte qu’elle se termine bien. Donc on ne se rend pas compte
que ce mécontentement, ce malheur, ce moi problématique qu’on connaît en
direct, ne sont pas un problème personnel, mais une construction inhérente à la
structure du mental. C’est un dysfonctionnement structurel et non un
dysfonctionnement basé sur le contenu du mental.
Et
chaque sens du moi, avec sa propre histoire, sait que cette histoire n’a pas
tout à fait tourné de la manière dont elle aurait du. Les choses ne se sont pas
déroulées de la façon dont elles étaient censées se dérouler. Et donc vous
commencez à croire que vous pouvez vous accomplir avec le temps. Mais à mesure
que vous avancez en âge, vous vous rendez compte que l’accomplissement ne se
produit toujours pas. Et que l’avenir se rétrécit.
Que
font alors beaucoup de personnes âgées, face à ce rétrécissement de leur avenir
? Elles se tournent de plus en plus vers le passé. Au moins je peux me
raccrocher à cela. Elles l'entretiennent en y pensant et en en parlant. Si leur
identité fabriquée par le mental est de nature malheureuse et se fonde sur la
plainte, car la vie les a tant maltraitées et a été injuste envers elles, très
bien, c’est mieux que pas d’identité du tout. Et mieux vaut faire en sorte que
cela continue.
Donc
de nombreuses personnes sont piégées dans un sens du moi très malheureux, avec
à l’esprit des plaintes continuelles au sujet de la vie, les gens autour de
moi, ce qu’ils me font, Dieu si il y a un Dieu. Peut-être croient-elles en Dieu
? Ou alors ils diront « Dieu ne peut pas exister, regardez ce qu’il m’a fait ».
Une fois que vous êtes piégé dans une identité, elle devient rigide et vous la
maintenez en y pensant, ainsi qu’en parlant à vous-même et aux autres. Vous ne
voulez pas lâcher le moi, qu’importe combien il souffre.
Donc
si vous avez assez de temps, vous vous mettez en quête du plus qui comblerait
le moi, une maison plus grande pour vous sentir plus en sécurité, quelque chose
d’un peu plus important, une plus grosse voiture devrait faire la différence.
Elle est plus grosse que celle des autres. Cette voiture devient alors une
forme pensée. Ce n’est pas la voiture elle-même qui importe, car ce n’est que
du métal, et dans quelques années ce sera un tas de rouille. Ce qui importe,
c’est la forme pensée « voiture » qui contient le « moi ». Ce moi EST la forme pensée qui s’identifie à
la forme pensée « voiture ». Moi, voiture, c’est ce qui se passe. De plus s’il
s’agit d’une grosse voiture, le moi, l’illusion du moi s’agrandit à travers
cette forme pensée.
Pour
quelque temps. Mais peu après, cela ne satisfait plus vraiment le sens du soi,
et il vous faut partir en quête d’une nouvelle chose, c’est vers ce plus que
vous courrez continuellement afin de parachever le moi. C’est un besoin
psychologique qui lui est inhérent. Tout le monde compte sur le moment suivant,
le futur, car cela donne l’impression de pouvoir obtenir ce dont on a besoin
pour compléter ce « moi ». Et à ce moment là leur vient l’idée d’une maison,
d’une maison plus grande que la voiture. Alors surgit à nouveau la forme pensée
du moi qui devient la forme pensée de ma maison, ma, mon. Ma, c’est une
histoire triste et intéressante de dire « ma» ou « mon », la mienne ». Les
enfants apprennent cela très tôt. C’est une de la première chose qu’ils
apprennent. Cela marque le commencement du moi, du moi égocentrique, cela est à
moi.
Et
donc cela constitue une idée qui se développe et la civilisation entière se
focalise sur l’idée de posséder quelque chose, l’idée de propriété. Si vous
examinez cela clairement, vous voyez que le fait de dire « je suis propriétaire
de ceci, de cette table, de quoi d’autre que ce soit, de cette maison, de cette
voiture dont on dit c’est la mienne »…
Mais qu’est ce que cela veut dire ?
C’est une histoire que vous êtes en train de vous raconter à ce sujet, une
histoire qui devient une forme pensée.
Supposons
que vous soyez fou, vous compteriez peut-être cette histoire « je possède ce
grand immeuble de bureaux de 20 étages ». Vous passez chaque jour devant en
vous disant « c’est à moi ». Il est maintenant tout à fait possible que le
reste de la société soit d’accord avec votre histoire et vous donne un morceau
de papier pour reconnaître votre accord. Par contre, si vous croyez que vous
possédez quelque chose, et que personne n’est d’accord avec vous, on vous
prendra pour un fou. Mais si les gens sont d’accord, ils vous considéreront
comme quelqu’un de riche. Cette richesse est importante car elle rend votre
histoire plus imposante. Jusqu’à ce quelle redevienne triste. Ceci pour vous
montrer quelle importance prennent les concepts dans votre vie. Ces concepts
amènent les gens à vivre dans un sens de l’être conceptualisé, rien que des
concepts mentaux.
Dès
que vous vous installez dans ce moi conceptualisé, vous vivez aussi dans une
réalité conceptualisée, car vous percevez toute cette réalité à travers un être
fabriqué par le mental «le moi ». Et c’est ce qui donne cette compulsion à
interpréter immédiatement et à cataloguer chaque expérience, chaque perception.
Et ceux qui sont très habiles à cela, ceux qui savent rapidement cataloguer,
analyser les choses, enregistrer l’information, la restituer, dissèquent les
choses en tout petits segments, afin de les examiner, ou ceux qui s’y
connaissent en concepts, on les qualifie d’intelligents. Et si vous êtes très
doué pour disséquer de petits éléments de connaissance en encore de plus petits
fragments, alors vous obtenez un doctorat.
Si
vous êtes allé à l’université, vous savez combien sont minuscules les fragments
sur lesquels les gens effectuent leurs recherches. Et c’est cela la condition
humaine. Et ce besoin du plus n’est pas seulement un besoin personnel, car ce
sentiment de soi devient un sentiment collectif de soi, par l’intermédiaire des
entreprises, des sociétés commerciales, des nations, des tribus, des
organisations. Celles-ci sont toutes créées par ce moi conceptuel dont elles
sont l’expression, une expression collective de cela. C’est facile à voir quand
on considère une immense société commerciale et son aptitude à croître.
Regardez par exemple l’effondrement récent d’Enron Corporation aux Etats-Unis :
gigantesque ! Et vous vous apercevez que la société entière était dominée par
le besoin avide de « toujours plus ». Et donc c’est facile de dire « regardez
comme cette entreprise est corrompue ». En fait elle n’est qu’un ego à grande
échelle.
Et le
soi, cette entité, ne se préoccupe donc au fil de sa vie, que de deux choses
importantes : la première, c’est le mouvement du désir, celui de vouloir plus,
et la deuxième un mouvement de protection, « je ne veux rien perdre du peu que
j’ai déjà ». Ces deux mouvements sont « Vouloir » et « Avoir peur ». Désir,
peur. Les êtres humains évoluent entre les deux. L’origine des actions
entreprises par le soi égocentrique est soit le désir avec le besoin d’avoir
plus, soit la peur avec le besoin de protéger le moi.
Chaque
être humain est dans cet état d’esprit, son petit soi à la recherche de ce que
je peux obtenir. Ou encore, cette personne représente-elle une menace pour moi
? Donc l’esprit humain regarde chaque personne qu’il rencontre avec les yeux de
la peur et du désir. Et c’est comme cela que vivent les humains. Mais autre
chose vient aggraver la situation aussi fabriquée par le mental. C’est d’avoir
des frontières clairement délimitées et qui ne sont que pensées bien sur. Des
frontières entre moi et le reste du monde y compris les autres. Et avec cela
vient le besoin toujours inconscient pour ce sens du moi, de se définir plus
fortement par l’opposition. Le petit soi a besoin d’ennemis quelque part, car sans
eux, le sentiment d’identité ne serait plus assez solide, et deviendrait
changeant.
Vous
pouvez voir cela sur le plan collectif en observant comment les religions, les
nations, les différentes églises et les tribus, aiment toutes leurs ennemis.
Elles les aiment, non pas dans le sens que Jésus leur a enseigné, mais afin de
définir et de renforcer leurs sentiments d’identité.
Les
chrétiens ont fait cela pendant longtemps, et certains le font encore. Les
musulmans le font beaucoup ces temps ci. Définir son identité à travers le fait
d’avoir un ennemi, n’est pas spécifique à une religion, n’importe quelle
religion s’y prête, les nations le font aussi. Qui seriez-vous sans un ennemi
qui renforce tant le soi illusoire ? Et sur le plan personnel, cela signifie
que vous avez besoin de problèmes. Une fois encore c’est inconscient, et cela
fait parti intégrante du mental. Nous connaissons tous des gens qui sont
attachés à leurs problèmes, car c’est toujours plus facile de le voir chez les
autres que chez soi ! Donc l’identité de tant de gens, fondée avant tout sur
une histoire, est basée sur une accumulation de problèmes et de conflits dans
leur vie. Et quand vous leur demandez des nouvelles, ils vous racontent leurs
problèmes. Si c’est cela la condition humaine, sur le plan personnel ou
collectif, nous pouvons donc comprendre pourquoi l’histoire des êtres humains
paraît si démente, folle. Lisez l’histoire du vingtième siècle, c’est un
cauchemar. Et si vous regardez les nouvelles à la télévision ce soir, cela continue!
Donc le monde que les êtres humains ont créé est une expression, une
manifestation de leur état de conscience, ou plutôt de leur état
d’inconscience.
Nous
voyons maintenant pourquoi l’histoire est ce qu’elle est, et ce depuis que
l’homme a commencé à la consigner. Il y a un élément de dysfonctionnement ou de
folie très fort dans le psychisme humain. Et tous les grands maîtres ont vu
cela, le Bouddha, Jésus, les sages de l’Inde, tous ont observé ce
dysfonctionnement énorme de la condition humaine. Le Bouddha l’a appelé
souffrance, en disant que la condition humaine est un état de souffrance. Jésus
l’a appelé « Péché ». Bien sur ce mot a été souvent mal interprété. En Inde,
ils appellent cela illusion. Tous ont observé cela et ils ont vu aussi qu’il y
avait un moyen d’en sortir.
Un
état de conscience différent est possible pour l’humanité. Le Bouddha l’appelle
« la fin de la souffrance ». Jésus l’appelle « le salut ou le royaume des cieux
». Dans les enseignements de l’Inde, on appelle cela « libération ou
illumination ». Enfin et bonne nouvelle… mais vous avez peut-être remarqué que
de voir la condition humaine, telle qu’elle est déjà libérateur. Et c’est
nécessaire, car s'il n’y a aucun changement dans l’état de conscience de
l’homme, la planète et l’humanité ne survivront probablement pas plus de cent
ans. Car ce dysfonctionnement est maintenant amplifié par les moyens
scientifiques et la technologie.
Pour
la première fois, l’humanité se trouve confronté à la possibilité de provoquer
sa propre extinction. Et c’est pourquoi aujourd’hui, un nouvel état de
conscience doit émerger chez les êtres humains. Et c’est du fait de cette
situation, qu’un nouvel état de conscience est en train d’apparaître.
Maintenant que je suis en train d’ajouter une nouvelle idée à votre esprit, ce
n’est pas ce que je veux faire. Certains d’entre vous me demanderont peut-être
: comment savez-vous qu’un véritable changement est en train de se produire ?
Comment savez-vous cela ? Cette réunion, ici même, fait partie de cette transformation
de la conscience humaine.
Nous
arrivons donc maintenant au cœur du sujet : la possibilité d’une transformation
de la conscience, celle qui est en train de se produire ici. Pourquoi ? Comment
? Comment nous sortir de milliers d’années de conditionnements ? Et le petit
soi de dire « Oh mais c’est très intéressant », « Oh oui ; je veux me
transformer » Et il ajoute : « dites m’en plus, expliquez-moi comment faire ?
Comment puis-je y parvenir ? ». En d’autres termes, une nouvelle image prend
forme mentalement, celle de moi parvenant à un état de conscience, un idéal.
Donc
la grosse voiture n’a pas marché, la grande maison non plus, une position plus
élevée dans la société n’a pas suffit à combler le moi, trois mariages n’y sont
pas parvenu, ni des expériences, ni des voyages, ni un doctorat. Mais à présent
il y a la possibilité d’ajouter au moi l’accomplissement ultime. Et c’est alors
que vous devenez un chercheur spirituel ! Et vous ne réalisez pas que c’est
avec le même état d’esprit, le même besoin de plus et d’un avenir pour
compléter le moi, qui est encore à l’œuvre.
Et
puis après vingt ans de recherches, vous commencez à être un peu fatigué.
Plusieurs fois vous avez vraiment pensé avoir trouvé. La grande expérience. Qui
s’est soudainement évanouie dans le passé. Et alors vous êtes devenu quelqu’un
qui, un jour, a eu une grande expérience. C’est mieux que rien. Vous pouvez en
parler, y penser, vous sentir malheureux à ce sujet. Quelques années plus tard
c’est devenu une habitude. Alors le soi fabriqué par le mental dit « dites moi
comment y arriver, quelque soit le temps qu’il faut. D’ailleurs, donnez moi du
temps et j’y arriverai ».
C’est
ce que vous obtenez dans certains enseignements qui vous donnent satisfaction,
et qui disent « il y a 12 étapes ». Cela vous permet de savoir exactement où
vous en êtes « j’en suis à la quatrième étape, et toi ? » Donc certains
enseignements comportent douze étapes et seul celui qui a atteint la treizième
devient le chef du groupe.
Donc
le soi créé par le mental vit dans le temps. C’est le passé qui lui donne son
identité et c’est le futur qui détient la possibilité de son accomplissement.
Tout ceci est donc lié au temps. C’est pourquoi le sentiment de soi et le temps
sont si importants et expliquent l’importance du temps dans notre civilisation.
Le temps est quelque chose d’étrange. Il ne cesse de s’écouler et pourtant ce
qu’on entend le plus à son sujet est « je n’ai pas le temps, je n’ai pas assez
de temps ». Il y a tellement de temps, il est partout le temps. Le temps est un
mystère très étrange, un grand mystère. Il semble si réel. Personne ne peut le
nier, puisque nous passons du temps ici. Vous passez du temps à venir ici. Et
très bientôt ce sera terminé, car le temps passe et avant même de vous en
rendre compte, vous rentrerez chez vous. Le temps passe ! Vous ne pouvez
arrêter l’animal, il vous entraîne avec lui. C’est comme si vous étiez dans un
train express qui ne s’arrête jamais et que voyez le paysage défiler !
Même
notre réunion d’aujourd’hui qui pendant longtemps n’a été qu’un événement à
venir qui va se rapprocher de nous : trois jours encore, puis deux, puis un
jour, puis il est là, puis il passe ! Ce n’est que cela, le train express est
parti dans le passé en venant du futur. Il s’est lentement approché. Plus il
était loin, plus il était lent, et soudain il arrive. Et avant que vous n’ayez
réalisé ce qui se passe, il a déjà disparu. Tout est si éphémère. Avant que
vous ne vous ayez rendu compte de quoi que ce soit, tout s’évanouit. C’est
étrange ! Il y avait un poète qui parlait du temps comme un feu qui nous
consumerait tous et d’une certaine manière c’est vrai, car le feu ne laisse
derrière lui que des cendres. Et c’est ce qui restera de nos corps. Consumés
par le temps.
A
Noël, j’ai rendu visite à de vieux amis que je n’avais pas vu depuis longtemps.
Et en les voyant j’ai d’abord pensé qu’ils devaient être malades. Et puis je me
suis rendu compte que non, et que c’était le temps qui les avait rendu comme
cela. Quelle horreur, c’est le temps qui vous a fait cela ! Je n’ai pas dit
cela mais…Le temps est donc quelque chose de bien étrange. Il semble que nous
ne puissions pas y échapper et d’un autre côté, nous n’en avons jamais assez et
il nous consume. Mais il y a encore quelque chose d’étrange : le temps, en
réalité est à la fois passé et futur. C’est cela le temps. Mais le plus
étrange, c’est qu’en fait vous ne vous trouvez jamais en présence ni du passé
ni du futur. Jamais. Donc la chose étrange est que « maintenant » est toujours
la seule chose qui soit. C’est toujours maintenant.
Ainsi,
bien que cela vous paraisse étrange, il ne vous ait jamais rien arrivé. Vous
n’avez jamais rien fait ou vécu quoi que ce soit dans le passé. Ce qui vous est
arrivé, quoi que ce puisse être, est obligatoirement dans le présent. Et comme
le futur n’arrive jamais, bien sur, quand il arrive, c’est maintenant ! Ainsi,
même quand on se rappelle du passé, le souvenir n’est qu’une trace de mémoire à
laquelle nous prêtons attention « maintenant ». Ce dont on se souvient, la
forme pensée, ne peut surgir que « maintenant ». Donc le souvenir doit donc se
dérouler obligatoirement dans le maintenant. Vous ne pouvez jamais échapper à «
maintenant ». Nous réalisons cette chose étrange qu’en réalité, il n’y a ni
passé, ni futur, ni avenir dans votre vie. Le futur est ce qu’on envisage «
maintenant ». Par conséquent, il n’y a pas de vie en dehors de « maintenant ».
Donc, et cela peut paraître paradoxal. D’un côté le temps semble très puissant,
il semble très réel et paraît nous affecter. Et pourtant si vous y regardez de
plus près, il est introuvable. En regardant le temps, tout ce qu’on y trouve,
c’est l’instant présent.
Alors,
quelque soit les effets du temps sur le corps, si au bout du compte le temps n’est
pas réel, et peut-être que le corps ne l’est pas non plus, et que tous deux
sont deux aspects de la même illusion… Mais mettons ceci de côté pour
l’instant.
Et
réalisons que notre vie entière se passe dans cet espace du maintenant. Elle
n’a jamais été en dehors du maintenant et ne sera jamais en dehors du
maintenant. Chose étrange, quand les gens sont piégés dans leur identité
égocentrique fabriquée par le mental, tout ce qui compte pour eux est le passé
ou l’avenir. Autrement dit, ils s’intéressent à tout sauf à ce qui est réel.
Et
ceci leur échappe presque continuellement. Et le moment présent est au mieux
une marche qui leur permet d’atteindre le moment suivant. Et très souvent
j’essaye d’échapper au moment présent, je résiste, je ne l’aime pas, je suis en
route pour un autre lieu bien plus important, c’est le moment suivant. C’est là
que je vais découvrir ce que je suis. Nous arrivons à une petite ouverture
maintenant, une ouverture qui au début paraît très petite, et qui se situe au
delà du mental conditionné. Elle mène à la libération de milliers d’années de
conditionnements au travers de l’accès au pouvoir qui réside caché dans le
moment présent.
On
pourrait dire que la transformation de conscience qui s’opère ici, est de
simplement découvrir une nouvelle relation avec maintenant.
Une
relation nouvelle avec maintenant. J‘ai parlé plus tôt du besoin que ressent le
soi fabriqué par le mental, d’avoir des problèmes et des ennemis. Et on
pourrait dire que le pire ennemi de ce soi fabriqué par le mental, est le
maintenant. Les gens ne réalisent pas qu’ils ont fait du maintenant un ennemi.
Mais la transformation de la conscience n’est pas quelque chose qui pourrait
vous arriver à un moment donné de la vie. La transformation de la conscience
consiste à simplement s’aligner sur ce moment présent. Et cela, vous ne pouvez
le faire que maintenant. Est-il possible de vivre de cette manière ? De telle
sorte que vous accueillez ce moment, le seul qui soit à jamais, c’est toujours
ce seul moment, il n’y a jamais que lui, c’est celui là, quelque soit sa forme
vous l’accueillez.
Maintenant
le petit moi dit « non cet instant présent ne me plait pas du tout, je veux y
échapper, il ne participe pas à mon accomplissement. En fait c’est un obstacle
aux buts que je voudrais atteindre, c’est un obstacle à mon histoire». C’est
cela que représente le maintenant pour le moi. Et le petit moi renchérit « ce
maintenant est en train de saboter ma vie, mon histoire ». Voilà pourquoi j’ai
besoin d’arriver au moment suivant. Vivre ainsi en résistance continuelle au
maintenant constitue le dysfonctionnement structurel. La possibilité s’offre à
nous maintenant de dire oui à ce moment, parce qu’il est, parce qu’il est
constamment tel qu’il est. Et vous pourrez crier, hurler, vous plaindre, il
restera tel qu’il est. Et le petit soi de dire «oui mais, je voudrais améliorer
la condition du monde, je voudrais que le monde soit meilleur, ce moment est
épouvantable, je ne veux pas accepter cette chose horrible ». Alors vous prenez
la fuite, vous fuyez ce moment. Que se passe t-il alors ? En vérité, dans la
forme que prend ce moment, et celle ci change continuellement, il y a l’espace
du maintenant dans laquelle la forme apparaît, puis elle disparaît, mais en
réalité elle demeure en tant qu’espace du maintenant. La forme s’étant
évanouie, le mental projette le passé pour intégrer ce qui vient d’arriver,
mais en réalité tout se passe dans l’espace du maintenant. Tout survient dans
le maintenant, puis tout se modifie. Tout survient continuellement dans
l’espace du maintenant.
Il n’y
a donc qu’un seul moment, qu’un seul maintenant, il ne vous quitte jamais, pas
plusieurs moments, mais il y a plusieurs formes que ce moment peut prendre. Et
quelque soit la forme que prend ce moment, quoi qu’il arrive, il ne s’agit pas
d’un événement séparé, car il n’y a pas d’événements séparé.
Nous
savons grâce aux enseignements traditionnels et à la physique moderne, que tout
est interconnecté, et qu’il n’y a pas d’entité ou d’événements séparés. Et cela
veut dire que ce qui apparaît dans le maintenant, ce qui se passe dans le
maintenant, est une expression de la totalité, et cela signifie qu’il ne
pourrait en être autrement. Le cosmos dans sa totalité a généré cela. D’où le
caractère inévitable de la forme que ce moment peut prendre. Quand vous
reconnaissez le caractère inéluctable de ce qui est, vous voyez alors la folie
d’y résister. Car cette résistance ne fait que renforcer cette entité « moi ».
Elle renforce cette illusion. C’est pourquoi le petit moi aime faire du
maintenant son ennemi.
Et
quand vous prenez conscience de cela, alors s’offre à vous la possibilité de
vivre différemment. Et intérieurement, vous vous accordez au maintenant. Cela
veut dire que vous permettez à ce moment d’être tel qu’il est. Le Bouddha a
utilisé le mot « suchness », c’est à dire le fait que les choses sont telles
quelles sont. Et le petit moi de dire « non, rien ne changera jamais, et vous
resterez coincé dans cet insupportable maintenant pour le restant de vos jours
». Mais il ne se rend pas compte qu’il a été coincé dans ses propres schémas
mentaux toute sa vie. Quand vous permettez à ce moment d’être, vous lui dites
oui, oui, ce oui signifie la fin de milliers d’années de conditionnements
collectifs. Le non au maintenant, la réaction, le non qui réagit à ce moment, à
la forme que prend ce moment, renforce la forme psychologique du moi.
Mais
avec un oui, quelque soit la forme que prenne la situation, si vous lui
apportez un oui, alors quelque chose d’étrange se produit. Vous pouvez dire que
soudainement un espace se forme autour de ce qui arrive. Et l’espace intérieur
émerge également, un sentiment de vastitude. Et ceci est l’émergence de la
conscience inconditionnée. Et il y a une immense intelligence au sein de cette
conscience inconditionnée. La conscience conditionnée, c’est le mental humain,
qui n’est qu’un aspect partiel de cette immense intelligence « une ».
Donc
quelque chose arrive, cela peut-être un défi qui survient à un moment donné de
votre vie. La vie fait cela parfois. Cela se produit dans le champ du
maintenant auquel vous ne résistez pas, mais à qui vous lui accordez simplement
votre attention. Vous regardez cela. Cela apparaît et vous lui donnez
simplement un flot continu d’attentions. Vous regardez. Et ceci est un changement
énorme, la capacité à être simplement là, avec ce qui est dans cet état de vive
attention. Et dans cet état de vive attention, une immense intelligence est à
l’œuvre.
Et si
l’action est nécessaire, elle se produira et elle résultera non pas d’une
résistance, mais de cette intelligence qui n’est rien d’autre que cet état de
présence consciente. Il arrive souvent aussi qu’un facteur extérieur surgisse
soudainement, ce que requiert une situation donnée. Par exemple un événement
simultané. Etant maintenant connecté à cette intelligence une, qui n’est pas
limitée à votre cerveau, vous pouvez donc maintenant accueillir la vie dans cet
état d’ouverture quoiqu’il arrive, même si en surface les choses paraissent
mauvaises. Il ne peut en être autrement, on ne peut pas discuter avec ce qui
est, donc autant l’accueillir à bras ouverts.
Mais,
me direz-vous, n’y a t-il pas dans la vie des situations épouvantables, des
injustices, des violences, des gens commettant des choses atroces envers les
autres…. Etes-vous en train de me demander de ne rien faire ? Observez ce qui
se passe. Vous êtes là en tant qu’espace de l’intelligence inconditionnée.
Mettez vous dans une situation, non pas en tant que petite entité combative
peureuse, en colère et qui voudrait créer un monde meilleur à partir de sa
colère.
Voyez
par vous même qu’un monde véritablement transformé ne peut naître que d’un état
de conscience transformé. C’est tout ce que nous avons besoin de réaliser,
comme je l’ai déjà souligné plus tôt, la possibilité d’accueillir tout ce qui
se passe maintenant dans un état de « oui ».
Et
soudainement le portail s’ouvre, laissant l’intelligence inconditionnée
s’exprimer à travers vous et commencer à opérer dans votre vie. Vous êtes alors
vécu par la vie. Alors vous pouvez vous promener, observer les choses, les
laisser être totalement, que la compulsion de les cataloguer mentalement n’est
plus là. Vous n’êtes donc plus coincé par les étiquettes, les concepts, les
pensées. C’est cela, s’éveiller du rêve de la pensée. Cela ne veut pas dire que
la pensée ne se produit plus, mais elle n’est reconnue comme n’étant que
pensée. Vous la voyez pour ce qu’elle est ? Le fait de voir, c’est la
conscience inconditionnée. Ici nous ne pouvons que la désigner, au travers des
mots, mais le véritable enseignement est de percevoir l’espace à partir duquel
naissent les mots. Certains d’entre vous ont étudié le zen…. de quoi cela parle
t-il ? De ceci, du refus sans compromis de quitter « maintenant », sauf pour
des questions pratiques : nous nous rencontrerons demain à telle heure ? OK !
Retour à maintenant, maintenant.
Si on
demande aux maîtres zen quel est le sens du zen, certains vous frappent,
d’autres vous donnent des explications absurdes, mais … Il y avait un maître
qui était devenu célèbre, car tout ce qu’il faisait, était de lever le doigt
quand on lui demandait « Pouvez-vous nous expliquer le zen s’il vous plait ? »
Oui (en levant le doigt… puis long silence). Maintenant le dernier secret, le
secret de maintenant, c’est de sentir ce maintenant directement, non pas en
tant que ce qu’y s’y passe, mais en tant que le champ sous-jacent. Et alors
vous réalisez que le « maintenant » n’est pas vraiment séparé de ce que vous
êtes, parce que vous êtes ce champ de présence consciente. Différentes
personnes ont utilisé différents mots pour le dire : c’est simplement «
l’êtreté », la présence : je suis, mais je ne suis plus ceci ou cela. Quelque
part dans la bible, Dieu se définit lui même quand on lui demande qui es-tu ?
Quel est ton nom ? Dieu répond « je
suis celui qui suis, je suis cela que je suis ». Je suis, c’est l’essence de
l’être.
Ainsi,
votre identité n’est plus cette petite histoire, mais ce champ, cet espace.
Donc votre pratique spirituelle consiste simplement à dire « oui » au
maintenant. Et souvent le vieux « non » refera surface, la vague de résistance
à ce qui est. Alors que faites-vous ? Vous remarquez cette vague de résistance
et vous dîtes ho ! , il y a un non. Et vous faîtes cela en tant qu’espace de la
présence consciente. Néanmoins, vous vous souvenez quand même de vos rôles, et
de votre passé. Ensuite vous devez continuellement vous ressaisir, quand vous
vous retrouvez aspiré par les concepts, le moi conceptuel, et vous vous en
rendez compte puisque vous devenez malheureux, et que vous souffrez, vous avez
perdu le maintenant.
Où est
le maintenant ? Mon passé, mon avenir… ? Et tout d’un coup votre attention fait
psitt…Ho… Il n’y a pas vraiment de problème ici, n’est-ce pas ? Et puis vous
vous perdez à nouveau, et un objet aspire votre attention. Donc il a un va et
vient incessant, et de plus en plus vous marchez sur le fil étroit du «
maintenant ».
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