Laurent Huguelit |
Dans le chamanisme, l’âme assure l’intégrité énergétique et spirituelle de l’individu. Le travail des chamanes consiste à maintenir cette intégrité, et parfois à la rétablir.
Dans le chamanisme, tout n’est
finalement qu’une histoire d’âme : lorsque celle-ci est bien ancrée dans le
corps, qu’elle est unifiée et présente dans la réalité matérielle, l’individu
est en pleine possession de ses moyens.
Il est alors protégé de la maladie, de la souffrance et de la peur, et ressent
la connexion intime qui le relie au sens de l’existence et lui permet
d’exprimer librement sa créativité et son enthousiasme. Il est dans « l’état de
grâce », pour reprendre l’expression de la psychologue américaine Sandra
Ingerman, spécialiste du recouvrement d’âme et auteur de Soul Retrieval(Recouvrer son âme),
l’ouvrage de référence sur cette pratique. Il arrive cependant que l’âme ne soit pas complètement présente dans le corps,
et que l’être souffre de son absence ; il lui manque ou il a perdu « quelque
chose », et ce sera au chamane, « l’appeleur d’âmes », de partir à la recherche
de ce supplément d’âme qui lui fait défaut, et de lui restituer.
Alors que dans les cultures traditionnelles, la perte de l’âme a dans la
plupart des cas des causes surnaturelles (esprits possessifs, sorcellerie,
etc.), Sandra Ingerman explique que « de nos jours, [elle] est souvent due
à des traumatismes comme l’inceste, les abus sexuels, la perte d’un être aimé,
la chirurgie, un accident, une maladie, une fausse couche, un avortement, le
stress du combat ou encore les toxicodépendances. » Confrontée à la douleur ou à un choc,
l’âme se morcelle et certains de ses « fragments » retournent dans la réalité
non ordinaire, au-delà du temps, de l’espace, de la souffrance et de la douleur.
Autrement dit, des parties de l’âme s’échappent du corps et vont se ressourcer
dans leur berceau spirituel, loin des aléas de l’existence matérielle.
Cependant, la perte de l’âme n’est pas uniquement provoquée par des événements traumatisants, et le seul fait de venir prendre forme dans un corps humain peut suffire à provoquer un morcellement de l’âme. Elle peut avoir des difficultés à assumer d’avoir pris forme dans la matière, acte courageux s’il en est.
Initiation et incarnation
Dans la plupart des cultures traditionnelles, les rites de passage et les
initiations sont autant de manières de renforcer le lien à l’âme, ou d’en
récupérer des morceaux qui seraient partis en vagabondage. Pour prendre un
exemple classique, lorsque l’individu ritualise son passage à l’âge adulte, il
intègre son âme d’adulte, qui vient en quelque sorte compléter son âme
d’enfant. Inutile de préciser que dans ces cultures, les rites de passage sont
les moments les plus importants de la vie de l’individu, parce que c’est par
leur intermédiaire que ce dernier se définit en tant qu’être incarné dans un
corps, et qu’il prend sa place dans le groupe social. Comme l’a si bien dit
l’anthropologue Pierre-Yves Albrecht lors d’une conférence à laquelle j’ai eu
le plaisir d’assister au forum du GRETT, « nous vivons pour être initiés ».
Cela signifie qu’au-delà de nos préoccupations triviales et «
terrestres », nous vivons avant tout pour intégrer notre âme, pour
l’incarner pleinement. Dans la société moderne, il semblerait que nous ayons
cruellement besoin de retrouver nos âmes, ne serait-ce que parce que nous les
avons délaissées en cessant de croire en elles.
Il est d’autant plus intéressant d’observer que dans les symptômes classiques
de la perte de l’âme, il y a le fait d’être sans cesse en quête de quelque
chose, d’être insatisfait, de consommer aveuglément pour chercher à remplir un
vide. Selon cette grille de lecture chamanique, la société de consommation
serait la résultante d’un manque d’âme généralisé.
Un travail d’orfèvre
Pour accomplir un recouvrement d’âme, le chamane va entreprendre un voyage
chamanique durant lequel ses esprits alliés le conduiront là où se trouve le
bout d’âme qui s’est réfugié dans l’autre monde (voir encadré). Dans certains
cas, il se rendra dans le passé de son client et percevra les circonstances qui
ont provoqué la fuite de son âme, alors que dans d’autres cas, il voyagera dans
des mondes très éloignés de la réalité tangible qui ne lui seront perceptibles
que par pure abstraction. Dans tous les cas, le chamane fera en sorte de
retrouver l’âme de son client, qu’il pourra ensuite ramener dans la réalité
ordinaire et ancrer dans le corps de celui-ci, par exemple en l’insufflant dans
son coeur.
Cette approche du recouvrement d’âme est largement pratiquée aujourd’hui dans
le cadre du chamanisme moderne. Décrite ainsi sommairement, cette technique peut
sembler relativement simple à mettre en oeuvre, mais elle demande cependant une
certaine expérience de la part du chamane praticien, car le travail sur l’âme
est un travail d’orfèvre. On ne « joue » pas avec le recouvrement d’âme, parce
qu’il met le praticien en contact avec l’intimité la plus profonde de la
personne pour laquelle il travaille.
Une fois que l’âme a été récupérée par le chamane, c’est ensuite au tour du
client d’entreprendre un travail d’intégration – ou d’incarnation –, qui peut
prendre des semaines, des mois, voire des années à mûrir. Car l’âme qui est de
retour a soif de nature, de beauté et de joie de vivre, et elle demande que
l’on s’occupe d’elle. Cela peut parfois signifier entreprendre de grands
changements dans sa manière de vivre – autrement dit, mettre plus d’âme dans sa
vie. Mais avant tout, il s’agit d’apprendre à être soi-même, car être soi-même
est l’expression la plus simple et directe de l’âme.
Bonjour,
RépondreSupprimerC'est simplement écrit et très complet.
Merci car cela me donne des pistes importantes.
Avec mes meilleurs sentiments.
Margaret