Pour vivre une religion en esprit et en
vérité, il ne faut pas rester accroché à ce qui est là, trop près, à portée de
la main ou de la bouche. Il faut se déplacer, car le Christ est très haut, très
haut. Celui qui veut boire de l’eau pure doit faire l’ascension de la montagne
pour se désaltérer à la source, tandis que celui qui ne peut pas s’élever reste
en bas, où l’eau est polluée, et il attrape des microbes. La question n‘est pas
d’appartenir à une religion plutôt qu’à une autre, d’observer tel rite plutôt
que tel autre ; un rite est seulement une forme, et une forme n’est utile
que si on est capable de l’animer, d’y mettre un contenu.
Dans ma jeunesse, en Bulgarie, j’avais
entendu raconter cette histoire. Dans les temps anciens un évêque voyageait sur
les routes avec sa suite. Un matin, très tôt, il prit une barque pour traverser
un lac ; mais rapidement, le temps commença à se gâter, la tempête se
déchaîna et le rejeté sur la rive dans un lieu inhabité. Tandis qu’avec ses
gens il remerciait le Ciel d’avoir échappé à un grand danger, il vit arriver un
jeune garçon qui conduisait des chèvres. Il l’interrogea : "Quel est
ce lieu ? Et toi, qui es-tu" ? La réponse du jeune berger, le
son de sa voix, la pureté de son visage frappèrent l’évêque qui lui demanda :
"Est-ce que tu pries Dieu, mon enfant ? – Oui. – Et quelles prières
récites-tu ? – Je ne récite aucune prière. – Mais tu dis que tu pries,
comment fais-tu "? Le jeune garçon prit alors son bâton de berger, le
posa horizontalement sur deux pierres et se mit à sauter de part et d’autre.
L’évêque et sa suite écarquillaient les yeux d’étonnement, tandis que lui, tout
joyeux de montrer comment il priait à de
si grands personnages, il sautait, il sautait… Quand il eut terminé, un
essoufflé, une telle lumière était répandue sur son visage que l’évêque resta
un moment pensif. Puis il lui dit : "C’est bien, mais il existe une
meilleur prière, veux-tu la connaître ? – Oh oui ! répondit le berger
heureux d’apprendre à mieux prier Dieu. – Alors, mets-toi à genoux, joins les
mains et répète après moi : Notre Père, qui es aux cieux… Que ton nom soit
sanctifié"… le garçon répété plusieurs fois avec application et grand
respect. La tempête s’étant calmée, les voyageurs se préparèrent à repartir.
Avant de monter dans la barque, l’évêque bénit le garçon en lui recommandant de
bien réciter chaque jour la prière qu’il lui avait apprise. La barque était
déjà à une bonne distance du rivage quand soudain l’évêque vit arriver,
marchant sur les eaux, le jeune berger avec son bâton qui appelait :
"Monsieur l’Evêque, Monsieur l’Evêque, il y a des paroles dont je ne me
souviens plus ! – O mon enfant, s’écria l’évêque frappé de stupeur devant
ce prodige, cela n’a aucune importance, prie comme tu veux, le Seigneur a toujours
entendu ta prière" !
Cette anecdote est-elle
véridique ?... En tout cas, même si elle ne l’est pas, celui qui l’a
inventée avait compris que l’essentiel n’est pas dans la forme, les mots de la
prière et la posture pour prier, mais dans l’intensité de la vie intérieure.
Bien sûr, il n’est pas inutile de prononcer certains mots, de faire certains
gestes, mais à condition de comprendre ce qu’ils signifient, de leur donner un
contenu.
Pourquoi, par exemple, les initiés
ont-ils enseigné ce geste de joindre les mains pour prier ? C’est un
symbole. Parce que la vraie prière, c’est de joindre en soi les deux principes
du cœur et de l’intellect. Bien sûr, prier c’est exprimer un désir, et le désir
appartient au domaine du cœur, du sentiment. Mais si l’intellect, la pensée n’est
pas là pour étudier la nature de ce désir et l’orienter dans la bonne
direction, quel genre de prière allez-vous faire ? Qu’allez-vous
réclamer ? Si la pensée ne participe pas, ne vous étonnez pas d’être
rarement exaucé. Pour que votre prière soit reçue, il faut le cœur et
l’intellect, c’est à dire les deux principes masculin et féminin. Sur combien
de tableaux on a représenté des personnes en prière, même des enfants, avec les
mains jointes ! Mais on n’a jamais compris la profondeur de ce geste. Cela
ne veut pas dire que pour prier il faut obligatoirement joindre les mains
physiquement, non, car ce n’est pas le côté physique qui compte, mais le côté
intérieur. Il faut joindre le cœur et l’intellect, l’âme et l’esprit, car c’est
leur union qui donne de la puissance à la prière.
L’essentiel n’est donc pas de faire des
gestes, mais de comprendre leur sens, et il en est de même pour tous les
aspects matériels que revêt nécessairement une religion. Il y a eu dans
l’histoire, des gens qui avaient sans doute si bien médité les paroles de Jésus
"en esprit et en vérité" qu’ils ont voulu faire interdire toutes les
statues, toutes les images saintes, ce qui a donné lieu à des luttes
sanglantes ; parce que les autres, évidemment, qui tenaient à ces images,
ripostaient violemment… Eh bien, là aussi, c’était une attitude erronée.
Pourquoi vouloir supprimer les images ? La question n’est pas d’avoir des
images saintes ou de ne pas en avoir la question est de savoir comment les
considérer. Les Initiés ont sur ce point une attitude très sage ; ils
n’ont pas besoin de lieux de culte, d’églises ou de temples, ils n’ont pas
besoin de statues ni d’icônes, mais lorsqu’ils entrent dans un sanctuaire, quel
qu’il soit, ils s’inclinent devant les images parce qu’ils savent que, derrière
ces pratiques, se cachent toute une science et une pédagogie. Une image, une
statue n’est pas un but en soi ; mais seulement un instrument, un support
pour la pensée, pour la prière. Et ce principe n’est pas seulement valable pour
les images saintes, mais pour tout ce qui existe.
Un exemple vous fera comprendre ce que
je veux expliquer : le téléphone. Oui, le téléphone. Imaginez qu’une
personne qui ne saurait pas ce qu’est le téléphone vous voit prendre un objet,
le porter à votre oreille, poser votre doigt sur les numéros, puis vous
exclamer : "Et alors, espèce d’imbécile, espèce d’idiot, pourquoi
as-tu fait ça ? Tu vas voir ce que tu vas voir" Ou bien alors :
"Bonjour ma chérie, comment vas-tu ?
Que je suis heureux d’entendre ta
voix ! Je t’aime, tu sais… je t’embrasse". Cette personne se
dirait : "Mais il est fou, celui-là : il parle à un objet, il
l’injurie, il lui dit des mots doux ! Il faut l’enfermer". Vous
voyez, vous n’aviez pas réfléchi à la leçon que l’on peut tirer du téléphone,
vous vous en servez, c’est tout. Or, justement qu’y a-t-il à comprendre ?
Que le téléphone n’est qu’un instrument, un intermédiaire. Vous vous servez de
lui pour parler, ce n’est pas à lui que vous parlez, mais à quelqu’un d’autre,
ailleurs, parfois même très loin, à l’autre bout du monde ; et ce
quelqu’un écoute et répond. Le téléphone est seulement un moyen de
communication, et vous reconnaissez que si vous vous adressiez à l’objet
lui-même en disant : "J’ai besoin de toi, je t’en supplie, aide-moi",
vous seriez tout à fait ridicule. Eh bien, c’est ce que font beaucoup de gens
dans le domaine de la religion : ils s’arrêtent aux objets, aux êtres,
sans voir qu’ils ont là uniquement pour les mettre en relation avec d’autres
réalités plus subtiles, plus élevées.
Le fait de s’arrêter à des formes
matérielles a fini par conduire à de véritables aberrations. Les reliques de
saints, par exemple, ont pris une telle importance dans la chrétienté que peu à
peu chaque sanctuaire a voulu en posséder. Et alors, c’est devenu un véritable
commerce dans lequel se sont lancés toutes sortes de gens intéressés et
cupides. Parce que c’était très avantageux : dans les villes où les
sanctuaires passaient pour posséder des reliques, des foules venaient en
pèlerinage et les affaires marchaient très bien ! C’est pourquoi certains
sont allés jusqu’à fabriquer des reliques de toutes pièces. On raconte même
qu’un tsar de Russie ayant entendu dire qu’un monastère, on ne savait lequel,
possédait la tête de saint Jean-Baptiste, fit savoir à travers tout le pays
qu’il désirait posséder cette relique pour sa chapelle. Qu’elle ne fut pas sa
stupéfaction de voir arriver les unes après les autres une dizaine de têtes
dont chacune, lui assurait-on, était bien celle de saint
Jean-Baptiste !... et les morceaux de la croix de Jésus : depuis deux
mille ans qu’on ne cesse d’en vendre, c’est tout une forêt qui a dû être
abattue ! Alors, pauvres humains, ils abandonnent l’esprit qui est vivant
pour s’accrocher à des vestiges qui sont morts. Tout cela pour la plus grande
joie de quelques gens rusés qui ont trouvé le moyen de gagner de l’argent.
La religion telle que certains la
pratiquent n’est en réalité que du matérialisme. Je vous assure, on n’est pas
spiritualiste parce qu’on pratique une religion, ni matérialiste parce qu’on
s’intéresse à la matière. C’est la manière de s’intéresser à l’esprit et à la
matière qui fait un spiritualiste ou un matérialiste. C’est pourquoi au lieu de
critiquer les matérialistes, beaucoup devraient plutôt faire un retour sur eux-mêmes
pour se demander si eux aussi ne sont pas des matérialistes, puisqu’ils
s’arrêtent exclusivement sur la forme et perdent ainsi le contenu et le sens.
Volez-vous être véritablement un spiritualiste ? Allez vers l’esprit qui
vivifie et vers la vérité qui libère.
Omraam
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